mardi 4 septembre 2007

Simplification administrative ?


Nos amis les politiciens, lorsqu'ils daignent s'intéresser aux entreprises, ont enfin compris qu'il importe de simplifier les formalités auxquelles les employeurs doivent faire face. Enfin, si l'on s'en tient à leurs discours. La pratique est hélas loin de refléter ces bonnes intentions. Petit exemple pour illustrer mon propos.

Ce matin, plein de bonne volonté et de motivation, j'entame la préparation d'un cours sur le calcul des rémunérations destiné à mes chers élèves. Comme souvent, j'aime à disposer d'un maximum d'informations avant de commencer à faire le tri entre ce que j'inclurai dans mon cours et ce que je passerai sous silence. Cette méthode présente un double avantage : tout d'abord, elle me permet d'élargir de manière substantielle ma connaissance des matières dont je traite. Ensuite, elle me permet de répondre immédiatement à mes élèves s'ils soulèvent un point de détail ou demandent plus d'informations. Me voilà donc en train de surfer sur le net à la recherche d'informations sur le mode de calcul de la célèbre "cotisation spéciale de sécurité sociale". Au fait, saviez-vous que cette "cotisation" a été instaurée par la loi du 30 mars 1994 (sous je ne sais plus quel gouvernement Dehaene) ? A l'époque, nos ministres ont juré leurs grands dieux qu'il s'agissait d'une disposition temporaire. Treize ans d'existence pour une disposition temporaire, c'est pas mal, non ?

Bref, j'effectue ma recherche. Dans ma grande naïveté, je m'imagine toujours que le mode de calcul d'une petite cotisation supplémentaire, de surcroît censée être temporaire, ne peut être que fort simple. Que nenni ! La loi originale de 94 a été modifiée un nombre incalculable de fois. On trouve sur un site du gouvernement destiné aux entrepreneurs une explication du mode de calcul. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais si j'étais candidat-entrepreneur, la lecture de ce genre de prose indigeste me découragerait à tout jamais d'engager quelqu'un.



Outre les cotisations « ordinaires » de sécurité sociale, une cotisation spéciale pour la sécurité sociale est mise à charge des travailleurs. Il s’agit d’une cotisation qui varie selon l’importance de la rémunération du travailleur, d’une part, et de la situation de son ménage (isolé ou ménage à deux revenus), d’autre part.


Bon, jusque là, tout va bien, me direz-vous. Un calcul basé sur quelques paramètres, un barème tout simple et le tour est joué. Pauvre fou ! Vous oubliez que l'administration de l'ONSS est une entité démoniaque, peuplée d'une horde de fonctionnaires sadiques qui hantent ses couloirs en hurlant à la lune, avant de s'enfermer dans des bureaux lugubres pour y rédiger des textes incompréhensibles. Jugez-en plutôt !


En principe, le montant de la cotisation est fixé en fonction des revenus annuels imposables du ménage. L’administration des contributions directes effectuera le décompte définitif de cette cotisation lors de l’enrôlement des revenus du contribuable. Dès lors, les montants versés à l’O.N.S.S. doivent être considérés comme étant des provisions à valoir sur le montant annuel effectivement dû.


Ha ! On fait moins le malin, maintenant, hein ! Tout ça n'est qu'une provision, il faudra tout recalculer à la fin. Et en plus les succubes de l'ONSS ont eu l'idée machiavélique d'impliquer une autre race de démons, une race encore plus féroce qu'eux : les vampires des contributions directes, qui devront tout recalculer. Ha haaaaaa, tremble, pauvre contribuable, l'Etat se penche sur tes comptes ! Et tes souffrances ne sont pas finies, pauvre malheureux :


Cette cotisation doit être calculée en fonction de la rémunération trimestrielle soumise au calcul des cotisations de sécurité sociale. En pratique, elle doit être retenue sur la rémunération mensuelle de chacun des travailleurs. Etant donné que, dans la majorité des cas, la rémunération trimestrielle n’est connue avec précision qu’à la fin du trimestre, le montant des retenues mensuelles peut varier de mois en mois.
Le montant de cette retenue varie en fonction du montant total de la rémunération brute du travailleur (portée à 108 % pour les travailleurs manuels) déclarée trimestriellement à l’O.N.S.S. par son employeur. S’il est occupé par plusieurs employeurs, il ne doit pas être tenu compte de la rémunération payée par l’ (les) autre(s) employeur(s).


Mais oui, bien sûr, il faut calculer ça en fonction de la rémunération trimestrielle, pas mensuelle, c'est plus drôle !
Bon, je résume pour les distraits. Cette cotisation, c'est un machin calculé sur base d'un barème, que l'on applique à la rémunération mensuelle, mais qui doit faire l'objet d'une vérification trimestrielle puisque la base est le trimestre et non le mois. Et la base de calcul sera de 108% de la rémunération brute si on est ouvrier (ça apprendra aux pauvres à être pauvres, non mais !). Cerise sur le gâteau, tout cela n'est qu'une provision sur la cotisation réellement due pour l'année, dont le calcul sera confié aux agents du fisc. Ce qui leur permettra de vous envoyer un redressement deux ans après le paiement des cotisations. C'est là que le fonctionnaire qui a pondu cet authentique instrument de torture pousse le cri de la mouette de Gaston Lagaffe : "Hî hî hââââârrrrrrrr !"

Vous voulez une aspirine ? Si si, j'insiste, prenez-en une. Il vaut mieux pour vous. Parce que là suite, c'est le détail du calcul. Et là, j'aime autant vous dire que vos méninges vont chauffer !



Sur base trimestrielle, la retenue s’élève à:

- 27,90 EUR par trimestre pour les personnes dont le conjoint a également des revenus professionnels et dont la rémunération trimestrielle déclarée se situe dans la tranche de 3.285,29 EUR à 5.836,14 EUR;
- 7,6 % de la partie de la rémunération mensuelle qui excède 1.945,38 EUR lorsque la rémunération mensuelle se situe dans la tranche de 1.945,38 EUR à 2.190,18 EUR dans le cas d'une rémunération trimestrielle déclarée qui se situe dans la tranche de 5.836,14 EUR à 6.570,54 EUR. Pour les travailleurs dont le conjoint a également des revenus professionnels, le montant à retenir est fixé à un minimum de 27,90 EUR ;
- 55,80 EUR par trimestre, augmentés de 1,1 % de la partie de la rémunération mensuelle qui excède 2.190,18 EUR, lorsque cette rémunération mensuelle se situe dans la tranche de 2.190,19 EUR à 6.038,82 EUR dans le cas d'une rémunération trimestrielle déclarée qui se situe dans la tranche de 6.570,55 EUR à 18.116,46 EUR; cette retenue ne peut toutefois pas dépasser 154,92 EUR par trimestre pour les personnes dont le conjoint a également des revenus professionnels ;
- 154,92 EUR par trimestre lorsque la rémunération trimestrielle déclarée est supérieure à 18.116,46 EUR pour les personnes dont le conjoint a également des revenus professionnels;
- 182,82 EUR par trimestre lorsque la rémunération trimestrielle déclarée est supérieure à 18.116,46 EUR pour les personnes isolées ou dont le conjoint n'a pas de revenus professionnels.

Par « conjoint qui a des revenus professionnels », il faut entendre le conjoint qui, conformément à la réglementation en matière de précompte professionnel, a des revenus professionnels dont le montant est supérieur au plafond fixé pour l’application de la réduction du précompte professionnel pour autres charges de famille, accordée lorsque l’autre conjoint bénéficie également de revenus professionnels. Suite à la réforme de l'impôt sur les revenus des personnes physiques, à partir du 1er janvier 2004, les cohabitants légaux sont assimilés aux conjoints.


Ca donne à réfléchir, n'est-ce pas ? Mais ce n'est pas fini.


Etant donné que le montant de la retenue est déterminé en fonction de la rémunération trimestrielle, il n’est possible de connaître le montant exact de celle-ci que lors du dernier paiement de la rémunération du trimestre considéré. Lors du (dernier) paiement de la rémunération des premier et deuxième mois du trimestre, il convient de vérifier pour chaque travailleur si sa rémunération totale du mois considéré s’élève à au moins un tiers du plafond inférieur d’une des tranches susmentionnées. Si tel est le cas, il y a lieu de prélever le montant mensuel correspondant à la tranche concernée.


Mais bien sûr, il fallait y penser ! Tout ce qu'on vous explique là, c'est bien joli, mais il faut encore revérifier à la fin du trimestre. C'est là que ça devient hilarant. Si si. Lisez plutôt :



Concrètement,


"Concrètement" : ça y est, on va enfin comprendre, ça va être simple et direct ! Détrompez-vous, pauvre misérable, l'Etat se joue de vous : les arcanes de l'administration, comme les déclarations de la Pythie, sont compliquées et incompréhensibles . C'est comme ça, il va falloir s'y faire. Allez, courage, plus qu'un petit morceau et votre calvaire sera terminé :



Concrètement, il faut prélever pour ce mois l’un des montants suivants:

- 9,30 EUR lorsque la rémunération mensuelle se situe entre 1.095,10 EUR et 1.945,38 EUR et que le conjoint du travailleur a également des revenus professionnels;
- 7,6 % de la rémunération qui excède 1.945,38 EUR lorsque la rémunération mensuelle se situe dans la tranche de 1.945,38 EUR à 2.190,18 EUR. Pour le travailleur dont le conjoint a également des revenus professionnels, le montant minimum de la retenue est fixé à 9,30 EUR;
- 18,60 EUR, augmentés de 1,1 % de la partie de la rémunération qui excède 2.190,18 EUR lorsque la rémunération mensuelle se situe dans la tranche de 2.190,19 EUR à 6.038,82 EUR; cette retenue ne peut toutefois pas dépasser 51,64 EUR pour les personnes dont le conjoint a également des revenus professionnels
- 51,64 EUR lorsque la rémunération mensuelle est supérieure à 6.038,82 EUR et que le conjoint a également des revenus professionnels
- 60,94 EUR lorsque la rémunération mensuelle est supérieure à 6.038,82 EUR pour les personnes isolées ou dont le conjoint n'a pas de revenus professionnels

Lors du dernier paiement de la rémunération du trimestre, lorsque le montant définitif de la rémunération trimestrielle est connu, il y a lieu de déterminer le montant exact de la retenue due pour l’ensemble du trimestre. L’employeur procédera comme suit:

Il déterminera le montant global de la retenue pour le trimestre de la manière décrite ci-dessus;
- s’il s’avère que la retenue effectuée lors des deux premiers mois était trop élevée, il remboursera le trop perçu (éventuellement la totalité des sommes déjà perçues);
- s’il s’avère que la retenue effectuée lors de deux premiers mois était trop faible, il retiendra la différence lors du paiement du dernier salaire du trimestre



Ecoeuré ? Petite nature va, l'Etat n'a pas encore fini son oeuvre civilisatrice. Car "en vertu de la loi du 22 février 1998 portant des dispositions sociales, les revenus professionnels d’origine étrangère sont depuis le 3 mars 1998 exclus de la base de calcul de la cotisation spéciale pour la sécurité sociale."

Mais comme j'ai pitié de vous (à l'inverse de l'Etat, qui n'éprouve pour l'entrepreneur qu'un mépris teinté de haine et d'envie), je vous fais grâce du détail, ainsi d'ailleurs que de la manière dont il faut tout recalculer si jamais l'un des conjoints est salarié et l'autre indépendant.

Orwell aurait bien fait d'ajouter aux trois célèbres piliers de la propagande étatiste de 1984 une quatrième proposition visant le travail législatif :

"la simplicité, c'est la complication"


Eviv Bulgroz !




7 commentaires:

Echocynique a dit…

Bien rigolé.

Une question: quel est le rendement "réel" de cette taxe?
Quand on compte:
1. Le coût d'écriture de cette loi (il fallait être attentif pour éviter (trop) d'incohérence.
2. Le coût pour les entrepreneurs. Bien sûr, ils ne vont pas essayer de calculer cette cotisation. Ils vont soustraiter à un secrétariat social. Qui leur facturera.
3. Le coût administratif: il faut demander à chaque travailleur, combien il gagne chez ses autres employeurs, mais aussi combien son conjoint gagne.
Tout cela pour 9.30 € par mois (si j'ai bien compris ;-) ) pour une grosse partie des travailleurs.

La vie est belle et entreprendre en Belgique est une joie

Constantin a dit…

Le coût pour les entrepreneurs est le cadet des soucis du législateur. On peut cependant supposer qu'il est important. Typiquement, d'ailleurs, il s'agit d'un coût où il est possible de réaliser d'importantes économies d'échelle. Autrement dit, plus l'entreprise est "grosse", moins ces services sont coûteux par personne, qu'ils soient effectués en interne ou sous-traités à un secrétariat social. Une fois de plus, l'adage wallon "c'est toudi les p'tits qu'on spotche" prend tout son sens.

Par ailleurs, vous soulezvez la question du rendement réel de la taxe pour l'Etat. Je présume que les contrôles budgétaires successifs ont tenu compte de ce que cette taxe rapportait réellement de l'argent dans les coffres. N'oublions pas que la majeure partie de la charge administrative est de toute manière supportée par les entreprises.

Je crois me souvenir avoir vu quelque part une estimation du coût pour les entreprises et les particuliers des paperasseries engendrées par les impôts et l'ONSS. Si par hasard vous avez une idée d'où ces chiffres se trouvent , je suis preneur.

Ø a dit…

Si je lis bien, seuls les travailleurs dont la rémunération mensuelle est supérieure à 6.038,82 EUR peuvent avoir un conjoint qui n'a pas de revenus professionnels.

Les autres ont tous un conjoint qui en a (des revenus professionnels)

Echocynique a dit…

Il y a
"Au total, les obligations statistiques coûtent chaque année aux entreprises un minimum de 74,2 millions EUR”, déclare Philip Verstraete, coordinateur PME de la FEB." (site FEB)

Mais plus beau
http://www.plan.be/websites/pp092/fr/html_books/19.html
où l'on lit 6,2 milliards d'euros (intervalle de confiance 2,7 à 9,9 milliards) soit de 1,1 à 4 % du PIB

Un commentaire est-il encore utile?

Constantin a dit…

Ma foi, oui.

Vous avez remarqué que c'est pour les plus petites entreprises que le coût est le plus élevé ? Quand on sait qu'elles représentent 80% de notre tissu économique ...

Echocynique a dit…

Quand je parlais de "rendement", ce n'était pas dans le sens habituel du terme. C'était
Coût total de perception (tant chez les contribuables que au SPF, frais cachés compris) / montant perçu.

C'est dans la philosophie de kafka.be.

Un morceau choisi sur ce site
Chaque année, je reçois une facture du “polder van land van waas” pour un montant de seulement
5 euros. La somme que je devrais normalement leur verser s’élève à 0,32 euro, mais le minimum
facturable est de 5 euros. Je travaille moi-même comme fonctionnaire au SPF Finances et je me
demande si tout cela est vraiment nécessaire. Envoyer une lettre coûte déjà 46 centimes en frais
postaux. De plus, cela coûte, selon moi, un minimum de 2 euros par dossier à l’administration pour
écrire à tout le monde et suivre les paiements. En résumé, tous les habitants de Waasland sont
dérangés et doivent payer 5 euros sans même savoir clairement à quoi ceux-ci serviront.

Anonyme a dit…

(ptiong!)

mon dieu, à la lecture de l'article, je viens de pêter un klaxibule.

Argh !